Exhortation apostolique

"Gaudete et exsultate"

lien vers l'exhortation sur l'appel à la sainteté dans le monde actuel


Chapitre 5 : Combat, vigilance et discernement

« La vie chrétienne est un combat permanent. C’est aussi une lutte permanente contre le diable qui est le prince du mal » (§§158/159). C’est un thème original pour clore une exhortation apostolique sur la sainteté. Pourquoi le pape François a-t-il senti le besoin de finir sur la question du combat que tout homme, et encore plus tout chrétien, doit mener contre le Malin ? Ce qui est d’autant plus étonnant, c’est que ce thème du mal (mal / malin / Satan / diable) est un thème oublié des dernières décennies. Cette question interroge finalement les dernières fondations de la vie dans la sainteté, si on la prend au sérieux. 

Dans cet écrit, je parlerai du Mal comme être autonome, que l’on appelle de différente manière : Satan, Mal, Diable, Mauvais, Prince du Mal… Je ne parlerai pas ici du mal compris en philosophie comme absence de bien.

Le premier point important est de ne pas considérer le Diable comme un mythe. Dans notre monde, la croyance en Dieu est de moins en moins partagée, il en est de même pour la croyance en l’existence du diable. Beaucoup de chrétiens ne croient plus en son existence. Je ne saurais dire si c’est pas peur, facilité, culture ou autre raison. Mais dans la théologie actuelle, ce thème a tendance à revenir, ce qui est une bonne chose. En effet, reprendre cette question à plusieurs facettes, permet de se la réapproprier, d’une manière plus saine qu’elle ne l’a été par le passé. Ce n’est pas le propos du chapitre qui nous intéresse, cependant je profite de l’occasion pour rappeler l’importance de parler d’un thème qui peut nous déranger ou nous faire peur, non par masochisme, mais par lucidité de ce qui se joue devant nous. La Bible est traversée par la présence de Satan, ou de ses démons, sous des noms ou appellations différentes. De la Genèse à l’Apocalypse, cette question est centrale. Le Mal existe indépendamment de l’Homme et de Dieu. Il n’est pas une analogie de la liberté de l’homme, ou de l’absence de bien. « L’origine du mal ne peut être attribuée ni à Dieu, car Il est bon, ni à l’homme, car l’homme nous est représenté comme victime du mal qu’il rencontre » (1). Quelle importance pour nous de reconnaître ou pas l’existence du Mal ? Contrairement à Dieu, le Mal nous veut dans son pouvoir, non pour nous aimer de la manière la plus pure, mais pour nous dominer et nous maintenir hors de la lumière du Salut. Contrairement à Dieu, le Mal nous veut pour lui et non pour nous, il porte sur nous un regard avide, le désir de nous consommer non pour nous assimiler à son être comme Dieu le souhaite, mais pour nous absorber et nous faire disparaître. Ainsi comprendre le but du Mal et reconnaître son existence doit nous permettre de rester attentifs à ses attaques. « Ne pensons pas que c’est un mythe, une représentation, un symbole, une figure, une idée. Cette erreur nous conduit à baisser les bras, à relâcher l’attention et à être plus exposés. » (§161)

 

Connaître ce qu’est le Mal, reconnaître son existence, est le premier pas dans le combat et dans la vigilance qu’est la vie chrétienne. Ce n’est d’ailleurs pas un combat simple. Il faut rester fort face au Mal et annoncer sans cesse l’Evangile ! N’attendons pas d’être saints pour annoncer l’Evangile. Si le Mal, Satan, nous provoque, c’est qu’il a un pouvoir sur nous, c’est donc que notre sainteté n’est pas encore acquise. Même saint Martin fut souvent attaqué par le démon et jusque sur son lit de mort. Rien n’est pire pour le Malin que de voir une âme pure qui s’apprête à rejoindre Dieu le père, car cette âme lui échappe pour l’éternité. 

Nous l’avons déjà dit, reconnaître l’existence du Mal est un moyen de rester attentif, concentré sur dans la lutte sans baisser les bras. Nous avons là, sans aucun doute, ce qui nous garde éveillés. Mais cela ne suffit pas. Il faut être confiant. Et cela pour une raison principale : Jésus a vaincu le Mal, il l’a blessé mortellement. Cependant le Mal agonise, et comme une bête sauvage il se débat dans sa douleur et dans ses forces qui le quittent. Le Mal est blessé, mais reste dangereux. Le coup de grâce lui sera donné au retour du Christ dans la gloire. 

La dangerosité du Mal ne doit jamais être sous-estimée, et nous devons toujours rester éveillés sur ce point-là, pour ne pas nous laisser surprendre par un sursaut de la bête. Mais nous devons rester confiants. Sans cesse Dieu nous invite à résister aux manœuvres du diable. Or Dieu ne nous demande jamais de faire ce qui nous est impossible. La lutte est à notre niveau. Mais si nous en doutons, regardons les armes que nous donne le Seigneur : « Nous avons pour le combat les armes puissantes que le Seigneur nous donne : la foi qui s’exprime dans la prière, la méditation de la parole de Dieu, la célébration de la Messe, l’adoration eucharistique, la réconciliation sacramentelle, les œuvres de charité, la vie communautaire et l’engagement missionnaire » (§162). La foi est don de Dieu et nous permet de nous mettre en prière. Prier c’est entrer en dialogue avec Dieu. Celui qui sans croire en Dieu prie se parle à lui-même. Mais pour le croyant la prière le met en présence de Dieu qui écoute sa prière et lui répond dans le fond de son cœur. Cette présence de Dieu à l’homme dans la prière est intolérable pour le Malin, car il ne peut supporter la proximité avec l’Amour. Le contact avec Dieu, qui aime en perfection, lui est aussi insupportable que le feu au contact de la peau. Prier, c’est éloigner le mal de soi : la méditation de la parole de Dieu a le même résultat, elle éloigne le Mal de celui qui médite. Méditer la parole de Dieu c’est finalement écouter au plus profond de soi ce que Dieu cherche à nous dire. Cela rend Dieu vivant en nous et empêche le Mal de s’approcher ou de nous tenir en son pouvoir. L’eucharistie, l’adoration du saint Sacrement et la réconciliation sont des lieux où Dieu nous rejoint par le don de sa Grâce vivifiante et transformante. Dieu, par le don de ses grâces, nous transforme et nous fait avancer vers la sainteté, ce qui nous rend moins sensibles aux attaques du Malin, mais de l’autre côté cela nous rend plus désirable à ses yeux, car nous voyant nous éloigner de lui, il devient jaloux et souhaite nous récupérer sous son pouvoir. La vie communautaire et les œuvres de charité sont des armes contre le Malin, car elles nous rendent plus sensibles au bien. La vie communautaire implique de vivre la charité avec ses frères, mais aussi travaille chacun des membres de la communauté pour le polir et le rendre brillant. Dans la communauté du Cenacolo, communauté de personnes souffrant de dépendances (drogues, alcool, pornographie…), la règle de vie précise que personne ne peut être seul même un court instant. Chaque moment de la vie quotidienne est organisé de manière à ce que les membres de la communauté soient toujours avec un autre membre de la communauté. On travaille, on fait sa lessive, on se détend toujours à deux. Ayant fait cette expérience, je peux témoigner que cela n’a pas été facile de vivre sans jamais avoir de temps seul, mais cela oblige à vivre avec l’intérêt de l’autre en priorité. Or penser à l’autre avant soi-même c’est vivre en chrétien qui avance sur le chemin de la sainteté. Cette vie communautaire peut se vivre à tous les niveaux : familial, professionnel, amical, associatif, paroissial, diocésain… Que toutes nos interactions nous permettent de toujours faire passer nos frères et sœurs avant nous-mêmes et ainsi empêcher le Malin de s’approcher et de nous et de nos frères et sœurs. Enfin l’engagement missionnaire, c'est-à-dire annoncer l’Evangile et le Christ à ceux qui ne le connaissent pas, implique de vivre de ce même évangile. Autrement dit, celui qui assume cet engagement missionnaire doit vivre de tout ce que nous avons dit auparavant : la foi qui s’exprime dans la prière, la méditation de la parole de Dieu, la célébration de la Messe, l’adoration eucharistique, la réconciliation sacramentelle, les œuvres de charité, la vie communautaire. Et celui qui vit de cela devient missionnaire à son tour, indépendamment de sa volonté, car il devient un exemple pour tous.

Nous ne pouvons que rester confiants, car face au pouvoir du Mal s’oppose un pouvoir plus grand encore, celui de l’Amour, de Dieu, qui nous envoie lutter contre le mal avec les bonnes armes. Si nous restons attachés au Seigneur, alors notre victoire et assurée, car le Seigneur reste attaché à nous.

 

Nous ne devons pas sous-estimer le Mal, mais nous ne devons pas non plus sous-estimer notre faute. Le pape François appelle cela la corruption spirituelle : « ceux qui ont le sentiment qu’ils ne commettent pas de fautes graves contre la Loi de Dieu peuvent tomber dans une sorte d’étourdissement ou de torpeur… La corruption spirituelle est pire que la chute d’un pêcheur, car il s’agit d’un aveuglement confortable et autosuffisant où tout finit par sembler licite » (§§ 164 - 165). Cette attitude est basée sur un autoréférencement qui exclut la présence de Dieu, et de son Esprit de notre pensée. Cette situation est comparable à la personne qui se fait arrêter par les gendarmes, car il roulait à 160 sur une route de campagne, mais qui trouvera toujours une justification au non-respect de la loi : les voitures d’aujourd’hui sont plus sûres, il n’y avait personne… La référence n’est plus la loi, mais ce que moi je pense. Ainsi la corruption spirituelle ce n’est plus regarder la Loi comme un don de Dieu, mais une entrave à mon plaisir, et à ma liberté.

Dans la prière du Notre Père nous finissons par demander que Dieu, notre Père, nous délivre du mal. Dire cette prière chaque jour nous permet de nous souvenir que nous sommes enclins au mal, ou du moins que nous ne pouvons pas lutter seuls. Prendre conscience de cela nous permet de toujours rester conscients de notre besoin vital de rester sous la protection de Dieu ; et ainsi éviter de passer le Rubicon de l’autosuffisance de l’homme, pour nous extraire du pouvoir de Dieu. Cette volonté est d’ailleurs signe d’ignorance : Dieu ne nous veut pas sous son pouvoir, mais nous veut avec Lui par notre pleine liberté ; or, ceux qui refusent cela au motif que leur liberté est plus précieuse que cette relation à Dieu perdent cette liberté que Dieu leur a donnée en se mettant sous le pouvoir écrasant du mal et du péché. 

 

Pour éviter de nous tromper de voie, il nous faut savoir si ce que nous recevons ou ce que nous faisons provient de l’Esprit Saint, de l’esprit du monde ou de l’esprit du diable. Et pour cela nous avons le discernement. « Aujourd’hui, l’aptitude au discernement est redevenue particulièrement nécessaire. En effet, la vie actuelle offre d’énormes possibilités d’actions et de distractions et le monde les présente comme si elles étaient toutes valables et bonnes » (§167). Cette capacité à discerner n’est pas innée, mais nous pouvons demander à Dieu la grâce du discernement. Cependant même avec cette grâce, le discernement ne se pose pas sans méthode ni outils.

La première règle à respecter quand nous souhaitons discerner un choix à venir ou reconsidérer une situation passée c’est se mettre  sous la lumière du Seigneur. Cette proximité avec le Seigneur dans la réflexion nous fait grandir avec Lui, et nous permet de toujours mieux lutter contre le Mal. Plus nous sommes proches de Lui plus nous sommes en mesure de parer les attaques du diable, de contrer ses attaques avant même qu’elles nous touchent. Car quand nous sommes en présence de Dieu il devient possible pour nous de « reconnaître les temps de Dieu et de sa grâce, pour ne pas gaspiller les inspirations du Seigneur, pour ne pas laisser passer son invitation à grandir » (§ 169). Ce discernement doit également nous rendre capables de faire un examen de conscience en pleine vérité. Le pape invite à le faire quotidiennement. L’examen de conscience n’est pas seulement un acte de reconnaissance de nos fautes. Si cela était le cas, ce serait desséchant. C’est un acte qui permet en plus de reconnaître nos fautes, de reconnaître nos efforts, nos points de croissance, mais aussi de reconnaître la présence du Seigneur dans notre vie. Bien que dans un examen de conscience nous nous tournions vers le passé, reconnaître les moments passés où le Seigneur a été présent à nos côtés nous oriente vers l’avenir dans une attitude de confiance. L’examen de conscience permet de savoir d’où l’on vient pour discerner où l’on va. Le discernement ne peut aller sans examen de conscience. « Ce qui est en jeu, c’est le sens de ma vie devant le Père qui me connaît et qui m’aime, le vrai sens de mon existence que personne ne connaît mieux que Lui. » (§ 170)

 

Tout ce que l’on a dit dans ce chapitre cinq, le dernier de Gaudete et Exultate, n’est rien si on ne se met pas à l’écoute du Seigneur. Sans notre disposition à l’écouter, les combats que nous mènerons sont perdus d’avance, nos discernements ne porteront aucun fruit, notre vigilance s’endormira. Nous ne pouvons réussir sans nous mettre à l’écoute du Seigneur. 

Si Dieu a décidé de nous envoyer son Verbe, c’est bien pour qu’Il nous parle. Alors que ces jours-ci que nous fêtons la Nativité du Seigneur, nous devons mesurer ce que cela signifie pour nous. Un sauveur nous est donné, mais sa force est dans sa parole. C’est cette parole que nous devons écouter, entendre, accueillir, méditer… Nous devons nous laisser transformer par la parole du Verbe de Dieu. A la messe, quand nous communions au corps du Christ, nous mangeons son corps pour qu’Il nous assimile à son corps. Il y a un inversement. Pour tout autre aliment, celui qui le mange l’assimile en même temps. Avec le corps du Christ, c’est l’inverse, celui qui mange est assimilé, et celui qui est mangé assimile celui qui le mange. Pour la parole du Seigneur, c’est la même chose. Celui qui entend la parole du Seigneur, qui se met à son écoute est intériorisé au Christ. Il fait partie du corps de Christ. Pour illustrer l’importance de se mettre à l’écoute de la Parole de Dieu voici ce que dit le pape Benoit XVI sur le péché de non-écoute de la Parole de Dieu (Verbum Domini) « C’est pourquoi, il est important que les fidèles soient formés à reconnaître la racine du péché dans la non-écoute de la Parole du Seigneur et à accueillir en Jésus, le Verbe de Dieu le pardon qui nous ouvre au salut » (Verbum Domini § 26). Celui qui refuse de se mettre à l’écoute de Dieu refuse la relation avec Lui. Il commet donc un acte lourd de conséquences. Cette rupture entre lui est Dieu est l’origine, la source des péchés qu’il commentera à l’avenir. Refusant la relation que Dieu lui offre, il ne peut plus compter que sur ses forces qui sont trop faibles pour lutter seules contre les forces du Mal. Mettons-nous à l’écoute de la Parole de Dieu pour avancer en sécurité, avec assurance sur les chemins que Dieu nous réserve.

 

Le but de ce discernement est de grandir dans notre vie et notre foi. Il n’existe pas de domaine qui soit exclu de cette recherche de sens dans le Seigneur. Parce que Dieu à assumé notre chair dans l’incarnation de son Fils, il a expérimenté tous les sentiments humains, vécu toutes les expériences humaines, jusqu’à la souffrance, l’humiliation et la mort. Dieu connaît tout de nous non par simple connaissance acquise par observation, mais par expérience réellement vécue. Il peut donc nous rejoindre dans tous les domaines de notre vie. Faisons confiance au Seigneur dans notre discernement même s’il nous demande de tout quitter et de choisir la pauvreté, après tout, lui-même a tout abandonné pour nous sauver par la Croix !

Mais pour le moment, soyons dans la joie, car le Seigneur nous rejoint dans nos faiblesses. Par sa naissance dans la crèche, il se fait proche de chacun de nous. Allons le rejoindre en contemplant ce mystère dont nous sommes les témoins, Dieu s’est fait homme pour nous offrir la vie en plénitude. Rendons grâce à Dieu pour son amour et sa miséricorde. 




Nous touchons ici la fin de notre lecture de ce beau texte du pape François, avec lequel grâce à vous j’ai pu, pendant ce temps de l’Avent grandir dans ma foi, et avancer sur mon chemin de sainteté. J’espère que cette lecture vous a apporté des fruits spirituels, qui vous ont nourrit, autant que moi. 

 

Soyons dans la joie de la Nativité, le Seigneur a pris notre humanité pour venir jusque chez nous pour nous offrir le plus grand des trésors : son amour. Soyons sans crainte, et avançons avec lui sur le chemin qu’il nous trace. Cela ne peut pas nous rendre malheureux, mais doit nous combler de joie et faire de nous pour le monde, des témoins.

 

 (1) David Sendrez, Le péché originel, Parole et silence, vol. 127, collège de bernardins, p. 169.