Exhortation apostolique

"Gaudete et exsultate"

lien vers l'exhortation sur l'appel à la sainteté dans le monde actuel


Chapitre 4 : Quelques caractéristiques de la sainteté dans le monde actuel

Dans cet avant dernier chapitre, le pape François nous demande de considérer quelques caractéristiques de la sainteté dans le monde actuel « qui sont indispensables pour comprendre le style de vie auquel Jésus nous appelle. Je ne vais pas m’attarder à expliquer les différents moyens de sanctification que nous connaissons déjà : les différentes méthodes de prière, les précieux sacrements de l’Eucharistie et de la Réconciliation, l’offrande de sacrifice, les diverses formes de dévotion, la direction spirituelle et tant d’autres. Je me référerai uniquement à quelques aspects de l’appel à la sainteté dont j’espère qu’ils résonneront de manière spéciale. » (§ 110) On ne parlera donc pas de moyen, mais de caractéristique de la sainteté. Si nous suivons ces caractéristiques, nous ne deviendrons pas saints, nous le serons déjà ! 

Ces caractéristiques sont les manifestations de l’amour envers Dieu et le prochain. Les plus importantes sont au nombre de cinq, et répondent aux limites et à certains risques de la culture d’aujourd’hui : « l’anxiété nerveuse et violente qui nous disperse et nous affaiblit ; la négativité et la tristesse ; l’acédie commode, consumériste et égoïste ; l’individualisme et de nombreuses formes de fausse spiritualité sans rencontre avec Dieu qui règnent dans le marché religieux actuel » (§111). Ces cinq caractéristiques sont :

  1. Endurance, patience et douceur
  2. Joie et sens de l’humour
  3. Audace et ferveur
  4. En communauté
  5. En prière constante

Endurance, patience et douceur

 

« La première de ces grandes caractéristiques, c’est d’être centré, solidement axé sur Dieu qui aime et qui soutient. […] Voilà la source de paix qui s’exprime dans les attitudes d’un saint. Grâce à cette force intérieure, le témoignage de sainteté, dans notre monde pressé, changeant et agressif, est fait de patience et de constance dans le bien » (§112). Le but de la sainteté ainsi exprimée par le pape François est de marquer le monde, pour l’orienter vers Dieu qui aime et qui soutient. Nous partons de lui pour que notre prochain se tourne vers Lui. Cette conversion de l’autre passe par notre exemple. C’est donc avec patience que nous devons sans cesse mener notre vie ancrée dans notre Seigneur, pour que fidèle à Dieu et non au monde nous offrions à ceux qui se perdent une route vers le Salut.

Nous devons chercher à mettre dans nos vies Dieu lui-même, c'est-à-dire viser sa perfection dans nos imperfections. Saint Paul nous invite à renoncer à l’habitude du mal pour le mal, mais au contraire à vaincre le mal par le bien. Ceci ne peut se faire sans Dieu qui est « lent à la colère, mais grand par sa puissance ». 

Nous tourner sans cesse vers ce Dieu qui veut le bien en toute circonstance, y compris après la mort de son Fils unique, est l’unique moyen de ne pas nous mettre en position de faire du mal. Le monde d’aujourd’hui n’a pas de limites pour créer des lieux où le mal se répand. Le pape François nous invite à nous poser la question de nos habitudes sur les réseaux sociaux. Les réseaux sociaux désinhibent celui qui écrit dessus, et lui ôtent toute limite. Ainsi la diffamation, la violence raciale sont monnaie courante, y compris venant de chrétiens.  Il convient de se souvenir en tout temps que « le saint ne consacre pas ses énergies à déplorer les erreurs d’autrui » ( §116). Cette règle de vie est un enseignement du Seigneur : « que celui qui n’a jamais péché lui jette la première pierre ! » (Jn 8,7). Ne nous occupons pas des défauts des autres, quand nous en avons que nous ignorons. Si nous agissons de cette manière, alors nous sommes capables d’humilité !

L’humilité est notre capacité à accepter l’humiliation du cœur ; comme celui qui accepte de regarder ses péchés plutôt que ceux des autres. Elle est condition de la sainteté, car elle reflète l’image du Christ en Croix, Dieu fait homme, condamné à cause de nous et crucifié comme un esclave. Il n’y a pas de plus grande humiliation que le supplice de la Croix pour Dieu. Chacune de nos petites humiliations est participation à l’humiliation du Christ, et donc nous rapproche de son royaume et de la sainteté. Le pape François finit par trois conseils pour vivre l’humilité et les humiliations sanctifiantes : ne pas marcher la tête base, mais vivre dans la justice et la charité ; ce chemin ne doit pas nous être agréable autrement que par le rapprochement qu’il opère entre nous et Jésus, l’humilité n’est pas du masochisme ; il faut vivre en paix, sans agressivité ni orgueil.

 

Joie et sens de l’humour.

 

« Ce qui a été dit jusqu’à présent n’implique pas un esprit inhibé, triste, aigri, mélancolique ou un profil bas amorphe. Le saint est capable de vivre joyeux et avec le sens de l’humour. Sans perdre le réalisme, il éclaire les autres avec un esprit positif et rempli d’espérance » ( §122). Le Christ est porteur de bonnes nouvelles, d’une Bonne Nouvelle. Nous devons à notre tour porter cette bonne nouvelle au monde, dans la joie ! On n’apporte pas une bonne nouvelle dans la tristesse, mais bien dans la joie.

L’Ancien Testament, mais encore plus le Nouveau Testament appelle à la joie. A travers la noirceur de la Passion et la mort du Christ, transperce la lumière de la joie de la Résurrection. Rien ne peut arrêter cette joie. Ne soyons pas nous-mêmes le frein à la diffusion de cette joie ! Ne laissons pas non plus les croix que nous traversons ternir la luminosité de cette joie.

« Ordinairement, la joie chrétienne est accompagnée du sens de l’humour, si remarquable, par exemple, chez saint Thomas More, chez saint Vincent de Paul ou chez saint Philippe Neri » (§126). A ce titre je me souviens de ce que nous avait dit notre dernier supérieur de séminaire en quittant la communauté : « n’oubliez pas que la meilleure des qualités qu’un homme puisse avoir, c’est rire de lui-même ». Alors oui la sainteté s’accompagne de l’humour, mais celui qui sait rire de lui-même sait rire de tout. Cette joie que tout chrétien est appelé à vivre est la joie de celui qui sait que rien de ce qui lui arrive n’a de l’importance, car Dieu lui à déjà tout donné. 

 

Audace et ferveur

 

Le pape François utilise le terme grec parresia pour parler de la sainteté. Autrement dit la sainteté « est audace, elle est une incitation à l’évangélisation qui laisse une marque dans ce monde » (§129). Le premier à avoir agi ainsi est le Christ lui-même quand il sillonnait les chemins Palestine annonçant la Bonne Nouvelle et modifiant le monde pour toujours. La sainteté n’est donc rien d’autre que de marcher dans les traces laissées par Jésus. Nous n’avons pas à inventer une nouvelle route, mais suivre son chemin derrière lui, et avec lui, car il est toujours avec ceux qui marchent à sa suite. Et, parce qu’il l’a déjà fait, on sait que c’est possible et que cela apporte la réponse à toute vie humaine : pour quoi suis-je fait ?

« Audace, enthousiasme, parler en toute liberté, ferveur apostolique, tout cela est compris dans le vocable  parresia, terme par lequel la Bible désigne également la liberté d’une existence qui est ouverte, parce qu’elle se trouve disponible à Dieu et aux autres » (§129). Si notre vie est ouverte à Dieu, et qu’Il a accès à notre cœur et notre âme sans limites, alors tout nous est possible. En effet Dieu ne veut venir en nous non pas pour nous ôter notre propre volonté, mais pour compenser nos limites pas ses forces. Si Dieu fait sa demeure en nous, alors tous les champs des possibles s’ouvrent devant nous, non pas pour notre propre gloire, mais bien pour celle de Dieu, alors nous pouvons nous mettre au service de nos frères et sœurs les plus fragiles, sans jamais nous lasser, ni rechigner.

Les limites de cette parresia sont nous-mêmes. Le pape Paul VI disait ceci : « Le manque de ferveur est d’autant plus grave qu’il vient du dedans » (§130). Alors que la ferveur ouvre notre cœur à Dieu, son manque le serre jusqu’à en ôter toute vie. C’est un trop grand confort qui peut empêcher la ferveur de nous prendre. Pour nous éviter cela, le Christ nous invite à nous consacrer à son service. Et, attaché à Lui alors, nous pouvons mettre nos charismes au service de Dieu et des autres.

L’ennemi de la ferveur, la parresia, c’est, nous dit le pape François, l’accoutumance. Nous nous complaisons dans ce que nous possédons, nos sécurités, dans notre univers virtuel, et nous n’osons plus ouvrir les portes de notre vie de peur du dehors. Cependant Le Christ a quitté sa place au Ciel pour revêtir notre humanité pour nous offrir la vie dans la liberté. Il est temps d’ouvrir les portes, nos yeux et nos oreilles, mais surtout notre cœur, « pour nous laisser émouvoir par ce qui se passe autour de nous et par le cri de la Parole vivante et efficace du Ressuscité » (§137). A quelque jours de la fête de Noël, où le Christ nous rejoint dans nos fragilités, nous sommes appelés à sortir à la rencontre de l’époux et de nous mettre à nu devant lui.

 

En communauté 

 

Être isolé est une fragilité dans la lutte contre le mal.  La communauté offre un lieu d’exercice de la sainteté, un lieu de rencontre et de partage qui limite les intrusions du mal dans notre être. On ne peut pas être saint sans communauté, sans le regard de l’autre sur soi, sans le rapport à l’altérité qu’offre le frère. La communauté du Cenacolo, qui offre un lieu pour que ceux qui sont pris dans les tourments de la drogue puissent se reconstruire, a comme première règle de vie de ne jamais être seul, mais toujours deux à deux. Cette altérité sans cesse face à soi est ce qui leur permet d’avancer, de progresser, mais aussi de ne pas retomber. « Vivre ou travailler avec d’autres, c’est sans aucun doute un chemin de développement spirituel. Saint Jean de la Croix disait à un disciple : tu ne vis avec d’autres que pour être travaillé, exercé par tous… » (§141).

Cette vie communautaire n’a pas de visage type. La communauté peut être la famille, la paroisse, un groupe d’amis, l’aumônerie…. Une même personne peut avoir plusieurs communautés dans lesquelles elle travaille sa sainteté. Mais attention à la dispersion de celui qui est dans trop de communautés. Il faut viser la qualité de l’engagement et de la relation plutôt que la quantité. Cela n’enlève en rien le caractère essentiel à la communauté, qui offre un lieu de partage et de croissance commune vers la sainteté. Le Salut que le Christ nous a offert par sa mort nous est offert individuellement dans la communauté : si j’aide mon frère à avancer vers la sainteté, j’avancerai aussi. Cette vie communautaire est faite de petits détails d’attention. On ne demande pas à chacun de se dépasser tous les jours, mais au contraire d’être attentif au petit détail qui peut aider ses frères et sœurs. On est plus sur un marathon de petites attentions que sur un sprint d’obstacles énormes à franchir. « La communauté qui préserve les petits détails de l’amour, où les membres se protègent les uns et les autres et créent un lieu ouvert et d’évangélisation, est le lieu de la présence du ressuscité qui la sanctifie selon le projet du Père » (§145).

 

Prière constante.

 

« Souvenons-nous que la sainteté est faite d’une ouverture habituelle à la transcendance, qui s’exprime dans la prière et dans l’adoration. Le Saint est une personne dotée d’un esprit de prière qui a besoin de communiquer avec Dieu » (147). Le saint désire Dieu dans sa vie au plus près de lui. Il entretient cette relation d’amitié comme si c’était son trésor le plus cher. Pour faire cela, il doit prendre des moments de solitudes avec Dieu. Ce désir est si fort qu’il se manifeste en tout temps et tout lieu. La prière peut se vivre de la même manière, en tout temps, et tout lieu. Il n’y a pas de limite à notre relation avec Dieu. Les grands saints sont ceux qui sont restés en prière sans pour autant négliger les obligations terrestres. Pour cela nous pouvons rendre gloire à Dieu dans la prière, en tout moment : pendant la vaisselle, le ménage, la course à pied, la promenade, le repas, les devoirs, le travail… Tout peut être source de reconnaissance.

Cependant le silence est le lieu privilégié de la présence de Dieu. « La prière confiante est une réaction du cœur qui s’ouvre à Dieu face à face, où on fait taire tous les bruits pour écouter la voix suave du Seigneur qui résonne dans le silence » (§149). Nous pouvons prier tout le temps, mais le silence reste le lieu du discernement à la lumière de l’Esprit et à l’écoute de Dieu. Dans ce silence nous pouvons contempler le visage du Christ, car « personne ne va vers le Père sans passer par moi » disait Jésus à ses disciples. Jésus est le passage qui nous mène au père, mais pour cela il faut rendre grâce en tout temps de ce que le Père nous donne, et contempler dans le creux du silence la face que Jésus nous offre, pour nous mener au Père qui donne toutes choses.

Quand nous parlons de prier en tout temps en tout lieux, cela veut bien dire dans le temps de l’homme. Celui qui prite ne sort pas du temps ni de l’histoire, bien au contraire. Celui qui prie s’ancre dans l’histoire. Puisque Dieu s’est fait homme, Il est entré dans l’histoire universelle, et donc quiconque contemple la face du Ressuscité entre dans sa propre histoire. La prière devient alors contemplation de la présence de Dieu dans notre vie. « Regarde ton histoire quand tu pries et tu y trouveras beaucoup de miséricorde. En même temps, cela alimentera ta conscience du fait que le Seigneur te garde dans sa mémoire et ne t’oublie jamais » (§154).

Avant la venue de notre Seigneur dans notre temps et notre chair, nous sommes invités à nous poser la question de ce que nous voulons offrir de nous-mêmes à Jésus. Parmi ces cinq caractéristiques de la sainteté que le pape François nous offre dans ce chapitre, laquelle pourrions-nous offrir à Dieu ? C'est-à-dire laquelle pourrais-je développer dans ma vie ? Si je manque du sens de l’humour, je peux demander humblement à Dieu de m’aider à approfondir cette qualité qui me fait défaut. Se regarder soi-même pour chercher ce que je peux offrir à Dieu est déjà la conversion qui nous est demandée.