Exhortation apostolique

"Gaudete et exsultate"

lien vers l'exhortation sur l'appel à la sainteté dans le monde actuel


Chapitre 3 : A la lumière du Maître

Commentaire Exultate et Gaudete - Chapitre 3 : A la lumière du Maître.

Pour chercher la sainteté, il n’y a rien de plus fondamental que de se mettre à la suite du maître : Jésus. « Jésus a expliqué avec grande simplicité ce que veut dire être saint, et il l’a fait quand il nous a enseigné les béatitudes » (§63). Si nous voulons connaître la marche à suivre pour revêtir la sainteté, il faut suivre le mode d’emploi que sont les béatitudes. C’est la carte d’identité du saint.

Alors que les paroles de Jésus quand il nous enseigne les béatitudes commencent toujours par "heureux ou bienheureux", le pape François nous précise que ces mots sont synonymes avec saint qui « exprime le fait que la personne qui est fidèle à Dieu et qui vit sa parole atteint dans le don de soi le vrai bonheur » (§64).

Ce chapitre se divise en deux parties. La première est une étude spirituelle des béatitudes. Dans les évangiles, il existe deux récits des béatitudes, un chez Matthieu (Mt 5,3-12) et un chez Luc. C’est le récit de Matthieu que le pape utilise, mais il convoque Luc pour approfondir son étude, quand les textes divergent. Attention, quand deux textes bibliques ne racontent pas la même chose, ce n’est pas par erreur, mais bien pour souligner la richesse des paroles de Jésus. Le psaume 61 exprime bien cette réalité : « Dieu a dit une chose, deux choses que j'ai entendues ». Cette première partie, le pape l’a appelée « à contre-courant ». Je le cite : « Bien que les paroles de Jésus puissent nous sembler poétiques, elles vont toutefois vraiment à contre-courant de ce qui est habituel, de ce qui se fait dans la société ; et, bien que ce message de Jésus nous attire, en réalité le monde nous mène vers un autre style de vie. Rien de ce que dit Jésus dans ce sermon sur les béatitudes n’est superficiel, car pour les vivre nous devons laisser l’Esprit-Saint nous envahir de toute sa puissance, pour que la sainteté devienne une réalité dans notre vie, et non un simple mot. Il nous appelle à un changement de vie radicale. 

La deuxième partie, « Le grand critère » sur lequel s‘arrête Jésus dans l’évangile de Matthieu (Mt 25,31-46), se focalise sur la béatitude : heureux les miséricordieux. 

A contre-courant

« Heureux les pauvres en esprit, car le royaume des cieux est à eux »

Cette première béatitude nous demande de situer où nous attendons la sécurité dans notre vie. Luc parle seulement de pauvreté. Il y a donc un parallèle à faire entre la pauvreté en esprit et la pauvreté matérielle. La pauvreté de biens implique de vivre dans l’insécurité, dans l’inconfort, de vivre une vie austère et dépouillée. La pauvreté de cœur vise non pas la possession, mais la proximité avec Dieu. Le pauvre de cœur se met à l’écoute de la Parole de Dieu, pour que le Seigneur puisse pénétrer dans son cœur qui lui laisse de la place. Celui qui se sent riche garde précieusement ce qu’il a de peur de le perdre. Il n’y a pas alors de possibilité au renouvellement, Dieu n’a pas accès au cœur du riche pour le transformer et lui faire aimer ses frères. Cette richesse du cœur s’apparente à l’orgueil. Or l’orgueilleux ne compte que sur lui. Il ne peut donc pas se tourner vers le Seigneur, car cela le fragiliserait ! Or, c’est bien l’inverse que nous demande Jésus. Il nous demande cette pauvreté de cœur, l’humilité intérieure ,pour que nous lui laissions la place de venir, et donc de nous rendre plus forts. Saint Ignace nous parle de sainte indifférence : « pour cela il est nécessaire de nous rendre indifférents à toutes les choses créées, en tout ce qui est laissé à la liberté de notre libre arbitre et qui ne lui est pas défendu ; de telle manière que nous ne voulions pas, pour notre part, davantage la santé que la maladie, la richesse que la pauvreté, l’honneur que le déshonneur, une longue vie qu’une vie courte et ainsi de suite pour tout le reste ». Soyons ignorants de nos volontés, pour nous tourner seulement vers celle du Christ : partager la vie des plus petits d’entre nous pour que nous soyons affiliés aux tout petits, alors tout nous sera révélé. Jésus dans l’évangile de Luc ne dit-il pas : « ce que tu as caché aux sages et aux savants, tu l’as révélé aux tout petits ». Dieu parle seulement aux petits, aux saints. Donc, chercher la pauvreté en esprit c’est vivre la sainteté, c’est être à l’écoute de la révélation de Dieu. Or cette révélation n’a pour but que nous faire voir le Royaume des Cieux. « Être pauvre de cœur, c’est cela la sainteté » (§70).

« Heureux les doux, car ils posséderont la terre »

La douceur est une autre expression de la pauvreté de cœur. Cependant dans la douceur il y a une dimension de plus. « La douceur est une autre expression de la pauvreté intérieure de celui qui place sa confiance seulement en Dieu » (§74). Autrement dit, c’est (l’expression intérieure) de ne pas voir dans les défauts des autres une moindre valeur de leur personne, par rapport à soi. La douceur est un fruit de l’Esprit-Saint, ainsi cette attitude d’amour de l’autre dans ce qui nous dérange le plus est un don que nous devons demander à Dieu. Le pape François nous dit comment agir avec douceur : « Si nous regardons leur limite et leurs défauts avec tendresse et douceur, sans nous sentir meilleurs qu’eux, nous pouvons les aider et nous évitons d’user nos énergies en lamentations inutiles ». Ceci était évident pour sainte Thérèse de Lisieux. Quand, au Carmel de Lisieux, il fallut trouver une sœur pour aider une autre religieuse très désagréable, la petite Thérèse s’est dévouée. Et pour répondre à chacune des situations agaçantes que cette religieuse créait, la petite Thérèse n’a pas perdu son énergie à essayer de changer sa sœur de couvent, mais écrit-elle « Je tâchais de lui rendre tous les services possibles et quand j’avais la tentation de lui répondre d’une façon désagréable, je me contentais de lui faire mon plus aimable sourire. » Cette grande sainte, d’une grande sagesse pour son jeune âge, apprenait à perfectionner son amour en se mettant dans des situations identiques. Elle disait par ailleurs : « ma charité parfaite consiste à supporter les défauts des autres, à ne point s’étonner de leurs faiblesses ».

La douceur, c’est aimer en toute circonstance son frère dans un esprit de paix. La douceur est ce qui nous permet de comprendre ce que Dieu veut pour nous, une vie paisible, animée par un sentiment véritable d’amour nourri de paix. Si nous vivons ainsi, nous verrons s’accomplir les promesses de Dieu, et ainsi nous posséderons la Terre, car alors seulement nous pourrons l’aimer comme don de Dieu. La douceur n’est pas l’absence de réaction aux défauts de l’autre, c’est la transformation de nos propres limites en don pour l’autre. 

Heureux les affligés, car ils seront consolés

Cette béatitude est une demande d’aller à contre-courant. Le monde d’aujourd’hui nous entraîne dans une vie de satisfactions éphémères qui s’enchaînent les unes après les autres. Ces satisfactions n’apportent aucun réconfort ou bonheur à l’homme. C’est une drogue pour l’homme qui entre dans ce système. La première satisfaction lui donne un sentiment qui s’apparente à la joie (sans en être) et il va chercher dans les plaisirs suivants cette même sensation. Le toxicomane ne se drogue pas pour le plaisir, mais pour retrouver le même plaisir de la première injection. Cette course, pour se donner bonne conscience nécessite de fermer les yeux sur ce qui ne va pas : la maladie, la pauvreté, la souffrance…

Ici, Jésus nous demande d’aller à contre -courant de cette course vers le néant et de nous arrêter sur ce qui ne va pas. En s’approchant des réalités de notre monde et en les regardant avec un regard de vérité, « on se laisse transpercer par la douleur, on devient alors capable de toucher les profondeurs de la vie et d’être authentiquement heureux » (§76). Mais le Christ qui a pris notre humanité de la manière la plus parfaite, qui a ressenti les mêmes émotions que nous, sait ce que nous vivons. Alors ceux qui s’affligent du malheur des autres sont consolés par le Christ lui-même. Cette consolation nous ouvre à notre compréhension du sens de la vie tel que Dieu la voulait ; elle permet à celui qui en est digne de partager la souffrance des autres, et ainsi l’alléger leur fardeau sans alourdir le nôtre. Cette proximité entre les personnes révèle que nous partageons la même chair, et que nous formons un même corps. Pleurer dans son cœur pour la souffrance des autres c’est vivre la sainteté.

Heureux les affamés et les assoiffés de la justice, car ils seront rassasiés.

Dans cette béatitude, Jésus met au même niveau la justice avec la faim et la soif. La faim et la soif sont des sentiments des besoins vitaux pour l’homme. La justice des hommes est imparfaite, et dans de nombreux endroits elle est dirigée par la corruption ou par des accords qui vont dans le sens des plus forts. Cette justice laisse un goût amer à ceux qui sont privés d’une justice équitable.

« Jésus dit qu’ils seront rassasiés, puisque tôt ou tard, la justice devient réalité, et nous pouvons contribuer à ce que ce soit possible, même si nous ne voyons pas toujours les résultats. » (§77) Cette justice n’est pas celle du monde, elle est celle du cœur. Elle devient réalité quand nos décisions sont prises dans la justice pour les plus pauvres et les plus faibles. Il faut comprendre le mot justice comme fidélité à la volonté de Dieu. Notre devoir est que toute notre vie soit animée par cette fidélité. Alors le monde que nous construirons rassasiera les assoiffés de justice. Faire dans toutes nos actions la volonté de Dieu, c’est être saint.

Heureux les miséricordieux, car ils obtiendront miséricorde.

Ceci est le grand critère, nous y reviendrons donc dans la seconde partie. Cependant ,cela ne nous empêche pas de comprendre ce que Jésus veut nous dire. 

Il y a deux aspects à la miséricorde : donner, servir et pardonner. Cette règle Matthieu la traduit par « Ainsi, tout ce que vous voulez que les hommes fassent pour vous faites-le vous-même pour eux » (7,12). Agir ainsi c’est refléter la perfection de Dieu qui dans sa relation avec les hommes n’a cessé de nous pardonner et de donner ce dont nous avions besoin. Ce que nous faisons de manière imparfaite, Dieu le fait en surabondance. Les évangiles sont généreux en passages nous expliquant cette béatitude. En Matthieu : « Montrez-vous compatissants, comme votre Père est compatissant, ne jugez pas, et vous ne serez pas jugés ; ne condamnez pas et vous ne serez pas condamnés ; remettez et il vous sera remis. Donnez et l’on vous donnera ». En Luc : « De la mesure dont vous mesurez on mesurera pour vous en retour ». Ces passages nous disent de nous mettre à l’école du Père, c'est-à-dire de faire selon nos forces ce que le père a fait en perfection pour nous. Prenons sur nous un peu de sa lumière, en cherchant à toujours plus ancrer notre miséricorde dans celle du Père. La deuxième phrase a fait couler beaucoup d’encre : nous serons jugés avec la même mesure que nous avons utilisée. La mesure utilisée pour nous sera-t-elle comparable à celle que nous avons utilisée ? Oui, dans le sens où si nous avons fait tout notre possible pour vivre la miséricorde comme le Christ nous l’a enseigné, alors le Père fera tout son possible pour être miséricordieux. L’inverse est aussi vrai. Ce sera donc une miséricorde parfaite ou une condamnation parfaite à notre encontre. En revanche, la mesure utilisée n’est pas comparable, car Dieu étant tout puissant et nous faibles, il n’y a pas de commune mesure entre ce que l’homme peut faire et ce que Dieu peut faire. Dieu nous demande de faire comme lui, mais il ne nous demande pas de faire à sa hauteur. Cela veut dire que nous devons sans cesse vivre la miséricorde pour notre prochain. A la question de Pierre « combien de fois devons-nous pardonner ? » Jésus répond « soixante-dix-sept fois sept fois ». Autrement dit dans le langage de l’époque, nous ne devons jamais cesser de pardonner.

Heureux les cœurs purs, car ils verront Dieu.

Le cœur est dans la Bible le lieu des intentions, lieu tenu caché aux yeux des hommes, mais ouvert comme un livre pour Dieu. Le péché provient du cœur, et donc le cœur est ce qui peut souiller l’homme. Mais l’amour provient également du cœur. Et cet amour a non seulement le pouvoir de nous rendre beaux aux yeux de Dieu, mais il est plus fort que le péché. Car si l’amour vient après le péché, alors par la grâce de Dieu le péché est effacé. Plus le cœur est pur plus grande est sa valeur aux yeux de Dieu, n’oublions jamais que « le Père voit dans le secret » (Mt 6,6) « ce qu’il y a dans l’homme » (Jn 2,24).

Avoir un cœur pur c’est s’offrir à son frère sincèrement dans l’amour que nous avons pour Dieu, sans garde-fous, sans calcul. Le don de soi parfait est celui qui provient du cœur et qui ne va que vers celui vers qui le cœur se tourne. Le cœur pur verra Dieu. Saint Paul dit que quand le cœur aime Dieu et le prochain, quand telle est son intention véritable et non pas de vaines paroles, alors ce cœur est pur et il peut voir Dieu. Le cœur pur verra Dieu cœur à cœur. Le saint est celui qui garde au jour le jour son cœur pur.

Heureux les artisans de paix, car ils seront appelés fils de Dieu.

Cette béatitude est encore un exemple flagrant du chemin à contre-courant que le Seigneur nous appelle à suivre. Tous ceux qui se mettent à suivre les béatitudes, le chemin annoncé par le Seigneur, risquent la persécution. Cette persécution a pris différents visages au cours des 2000 ans du christianisme : la mort dans les arènes, l’emprisonnement, la ségrégation, l’ignorance. Mais toutes ces persécutions ne sont rien à côté de ce qu’offre Dieu à ceux qui sont restés fidèles à son enseignement : le Royaume de Dieu. Car suivre le Seigneur c’est perdre sa vie or « qui veut sauver sa vie la perdra, et qui perd sa vie pour le Seigneur la sauvera ». Le pape François dit : « La croix, en particulier les peines et les souffrances que nous supportons pour suivre le commandement de l’amour et le chemin de la justice, est une source de maturation et de sanctification » (§92) Ces souffrances dont le pape parle ne sont autres que les persécutions. Ceux qui prennent cette route gênent. Ils provoquent chez les autres un retour de conscience, or, il est plus facile pour eux de condamner que de se remettre en question et de changer de vie. La sainteté n’est pas tellement d’annoncer une théologie parfaite, mais montrer par l’exemple un autre chemin, celui de l’amour et de la justice. A la fin des temps la seule chose qui restera ce sont les saints, et leurs exemples.

Ainsi, ces béatitudes nous appellent à changer de cap, mais à le tenir dans la foi qui est la nôtre. C’est seulement en faisant ainsi que nous parviendrons au Royaume des cieux qui nous est promis.

De toutes ces béatitudes il y en a une qui dépasse les autres : heureux les miséricordieux,

car ils obtiendront miséricorde. Comment dans notre monde la miséricorde peut-elle être vécue ? Au chapitre 25 de son évangile, Matthieu donne le critère sur lequel nous serons jugés : « J’ai eu faim et vous m’avez donné à manger, j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire, j’étais un étranger et vous m’avez accueilli, nu et vous m’avez vêtu, malade et vous m’avez visité, prisonnier et vous êtes venus me voir ». Ce passage n’est rien d’autre qu’un appel que le Christ  nous lance, pour que nous le reconnaissions dans le visage des pauvres. Celui qui parvient à faire ainsi dans sa vie sentira le cœur même du Christ dans le sien. Il y a dans ces paroles une participation à vivre du Christ. Le Christ qui se fait homme prend sur lui notre humanité sans abaisser sa divinité : « vrai homme et vrai Dieu » ; au contraire il élève notre humanité vers la divinité. Il ne nous fait pas devenir des dieux, mais nous fait participer à sa divinité. Si les croyants sont le corps du Christ, alors ils doivent devenir les membres qui répondent aux demandes de la tête. Pour cela il faut lui offrir notre fidélité pleine et entière et lutter pour que nous ne la lui retirions jamais. Notre fidélité au maître est la condition sine qua non pour atteindre l’objectif qu’il nous fixe dans ces paroles ?

Ce qui est dit ici implique que nous changions notre lieu de vivre nos sentiments. Il faut passer du lieu du confort à celui de la foi. « Quand je rencontre une personne dormant, exposée aux intempéries, dans une nuit froide je peux considérer que ce fagot est un imprévu qui m’arrête, un obstacle sur mon chemin… Ou bien je peux réagir à partir de la foi et de la charité, et reconnaître en elle un être humain doté de la même dignité que moi, un enfant aimé de Dieu » (§98).

L’objectif de tout cela n’est pas de faire quelques bonnes œuvres qui justifieraient notre place au paradis, mais de provoquer un changement social : « Pour que les générations futures soient également libérées, il st clair que l’objectif doit être la restauration de systèmes sociaux et économiques justes de manière que désormais, il ne puisse plus y avoir d’exclusion. » (§99)

Dieu aime notre prière, il n’y a pas de doute à cela. Mais ce qui lui plaît le plus c’est quand « dans notre culte nous y mettons la volonté de vivre avec générosité et quand nous laissons le don reçu de Dieu se traduire dans le don de nous-même aux frères » (104). Cette miséricorde va peu à peu se répandre dans notre culte et déborder dans notre vie jusqu’à devenir le pilier qui va soutenir notre vie, et celle de l’Eglise. Nous ne pouvons être sauvés seuls. Le Salut est individuel, mais nous avons besoin des frères pour vivre de la miséricorde et de la charité. Le chrétien isolé est un chrétien qui se meurt. Le saint est celui qui incarne l’évangile dans la vie quotidienne, y compris dans les tâches les moins valorisantes. On peut parler des saints de la porte d’à côté, des saints du travail. Ils vivent tellement la miséricorde et la charité au quotidien que dans tout ce qu’ils font, c’est le Christ qui travaille pour eux.